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Société multiculturelle ou République multiculturaliste ?

A l’heure du débat sur « l’identité nationale », on a pu voir ressurgir le pire voire l’horrible. Une montée insoutenable de la xénophobie a pu ainsi se manifester en toute lumière avec la bénédiction du gouvernement Sarkozy. Le ventre de la bête immonde est toujours aussi fécond. Le passé colonial de la France, surtout pour l’Algérie, n’est toujours pas intégré et les comptes ne sont pas encore soldés pour les nostalgiques de l’Empire français, chargé naguère d’incarner les « valeurs de l’Occident chrétien ».


Une mauvaise réponse à une mauvaise question

Légitimement révoltés pour certains d’entre eux par ce racisme résurgent, des laïques ont tendance parfois à passer de l’autre côté du cheval. Se réclamant de l’universel, ils ont tendance à inscrire leurs pensées et leurs actions en opposition à ce que l’on a appelé « l’État-nation », c’est-à-dire la forme nationale du progrès pour l’émancipation humaine.

Le multiculturalisme est appelé ainsi comme antidote à la xénophobie. S’il est évident pour la Libre Pensée que la société est multiculturelle, cela veut-il dire que la République, comme système politique et institutionnel, doit être « multiculturaliste » ? En clair, la République doit-elle se résumer à la société ?

La société est multiculturelle, c’est un fait d’évidence. Il faudrait chausser de biens curieuses lunettes pour ne pas s’apercevoir que nous ne sommes pas tous blonds aux yeux bleus, aimant la choucroute et la bière ou bruns aux yeux foncés dégustant force couscous et cornes de gazelles. La société est traversée par l’histoire, par les différentes époques qui l’ont façonnées et par la diversité des habitants qui la compose. Et c’est bien ainsi.

Par contre, revendiquer que la République, c’est-à-dire un système politique et institutionnel, en devenir plus que réalisé d’ailleurs, ne soit que le reflet de la société et non une aspiration et une idée à construire, c’est réduire le politique à n’être qu’une image au lieu d’être une volonté. C’est s’inscrire dans une pensée où les partis politiques, par exemple, ne doivent être que l’expression de sondage et non des militants mettant en œuvre des projets et faisant des propositions soumis aux libres choix des citoyens.

La République multiculturelle ou multiculturaliste, c’est l’institutionnalisation du communautarisme, érigé en système de gouvernement. C’est figer les citoyens dans leur contingence au lieu de tenter de les élever à l’idée de leur émancipation.


République « associationniste » ou République des citoyens ?

Dans la droite ligne de cette conception multiculturalisme, la logique vient d’elle-même. Qu’il y-a-t-il de mieux pour favoriser cette « diversité culturelle » que d’en appeler aux associations qui en vivent, parfois grassement ? Ainsi donc, il faudrait institutionnaliser les associations pour qu’elles soient le filtre naturel dans lequel passent les « cultures ».

Ce projet n’est pas neuf, il s’inspire directement de la théorie des « corps intermédiaires » de l’Ancien Régime que l’Église catholique promeut à chaque fois qu’elle le peut. C’est l’affirmation que l’individu n’est rien, qu’il n’existe que dans sa condition sociale, son groupement ethnique, son expression culturelle.

C’est l’apologie du corporatisme comme système politique, c’est la négation des classes sociales. Bien entendu, si la République devient celle des associations et non plus celle des citoyens, il convient de donner un véritable rôle à ces corps intermédiaires. On va donc retrouver ici, sous une forme ou sous une autre, le principe de subsidiarité défini par l’encyclique Quadragesimo anno, véritable ode aux fascisme italien : « Que l'autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l'excès son effort ; elle pourra, dès lors, assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement les fonctions qui n'appartiennent qu’à elle parce qu'elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportement, les circonstances ou la nécessité l'exigent ”.

C’est contre ce système d’Ancien-Régime que la Révolution, puis la République ensuite, ont fondé le citoyen comme un homme libre. Qu’on appelle les corps intermédiaires : association, communauté, religion, famille (même affublée de l’oxymore laïque) ; il s’agit bien du corporatisme de sinistre mémoire qui puisse sa source dans les encycliques catholiques et dans les régimes totalitaires.

S’il faut lutter efficacement contre le racisme et la xénophobie, revendiquer une République « multiculturaliste » ou « associationniste » serait ouvrir la voie à la pire des aventures contre la République, la Démocratie et la Laïcité.



Christian Eyschen

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