Accéder au contenu principal

Henri Peña-Ruiz : «La laïcité, levier d'intégration et de tolérance»



Henri Peña-Ruiz est philosophe, spécialiste de la laïcité, Auteur du «Dictionnaire amoureux de la laïcité». Éditions Plon.

La question de la laïcité est devenue centrale dans le débat après les attentats. Mais il y a parfois de la confusion. Quelle définition en donnez-vous ?

La laïcité est une conception du cadre politique de la vie commune, qui se fonde sur trois principes indissociables : la liberté de conscience ; l'égalité des droits de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions spirituelles (athées, croyants ou agnostiques) ; et l'orientation de la puissance publique vers le seul intérêt général commun à tous. Bref, le triptyque qui définit la laïcité (liberté, égalité, universalité) reprend à s'y méprendre le triptyque républicain. La laïcité n'est donc pas antireligieuse, elle ne s'en prend nullement aux religions comme démarches spirituelles.

Mais son affirmation de l'égalité conduit évidemment à rejeter tout privilège public de la religion. L'idéal laïque consiste à ne pas fonder la loi commune sur les religions ou sur la religion particulière d'un groupe. C'est pourquoi, par exemple, le blasphème, qui est une faute au regard d'une religion particulière, ne saurait devenir un délit dans toute la République.

La laïcité est en outre un levier d'intégration, car elle est un idéal universaliste qui ne rejette pas les particularismes mais qui les intègre dans un cadre commun.

Certains estiment que la loi de séparation des églises et de l'État de 1905 est obsolète. D'autres qu'il y a eu trop d'accrocs à cette loi. Faut-il la modifier ou mieux l'expliquer ?

Elle n'est évidemment pas obsolète. Certains disent qu'elle n'a été conçue que pour une religion. C'est historiquement un fait que c'est l'Église catholique qui était la plus crispée sur ses privilèges et il a bien fallu qu'elle en soit dessaisie. Mais la loi relève d'un esprit beaucoup plus général : quelle que soit la religion (l'islam, le judaïsme, le christianisme, etc.), dans la mesure où elle n'engage que ses fidèles, elle ne saurait prétendre imposer à la loi commune une quelconque exigence. La seule exigence que les religions peuvent imposer est le respect de la liberté de conscience, de l'égalité de droits des croyants, des athées et des agnostiques ; et le fait que la puissance publique agit pour tous également.

C'est un noyau de sens qui est celui de la loi du 9 décembre 1905 et qui est parfaitement adapté – peut-être plus encore aujourd'hui – à nos sociétés multiculturelles. C'est parce qu'il y a une grande diversité de traditions, de cultures qui se combinent dans le creuset français que la République française se doit d'être affranchie de tout particularisme.

Car si la République était prisonnière d'un particularisme religieux ou coutumier, elle serait perçue comme partisane et donc rejetée par une partie des citoyens.

Il n'y a donc aucune raison de remettre en cause la loi de 1905. Il faut au contraire l'appliquer de façon plus rigoureuse. Par exemple lorsque des élus, par clientélisme électoral, financent des communautés religieuses avec de l'argent public, c'est du détournement. Car l'argent dont disposent les élus, c'est celui de l'ensemble du peuple parmi lesquels il y a des athées, des agnostiques et des croyants. La provenance est universelle, la redistribution doit donc être universelle.

Najat Vallaud-Belkacem veut renforcer l'enseignement de la laïcité à l'école. La laïcité a-t-elle du mal à s'y exercer ?

La laïcité, me semble-t-il, doit s'affirmer dans la société par le respect des lois communes et dans l'espace scolaire. L'école est un lieu décisif. Parce que dans l'école publique, laïque, républicaine, sont accueillis des enfants de toutes origines. Il est clair que l'exigence la plus salvatrice pour cet accueil, c'est la laïcité. À l'école, on enseigne des connaissances et des principes universels ; on ne fait pas de prosélytisme religieux.

Certains élèves au nom de leur religion ont pourtant refusé la minute de silence…

On a un devoir d'éducation. Si dans une classe de terminale où je cherche à faire respecter une minute de silence en mémoire des victimes de Charlie Hebdo et de l'hypermarché cacher, j'avais des élèves qui me disent «Je suis pas d'accord, ils l'ont bien cherché», j'expliquerai une chose : ils ne l'ont pas cherché, car il n'y a aucune commune mesure entre un dessin satirique et une rafale de kalachnikov. Un dessin c'est une représentation, un tir de kalachnikov c'est un crime. Il est insensé, faux, abject de mettre sur le même plan les deux violences prétendues. Ce qui est respectable c'est la personne humaine comme telle et sa liberté de croire, mais ce n'est pas sa croyance. Sa croyance c'est une chose qu'elle a ; sa personne c'est une chose qu'elle est. On respecte les êtres, mais on n'est pas tenu de respecter pour autant leurs croyances. On pourrait d'ailleurs critiquer le pape François qui, dans l'avion, a osé dire que, finalement, quand on critique une religion, on est un peu comme quelqu'un qui parlerait mal de sa mère, et à qui il donnerait un coup de poing. Il y a là un double amalgame : entre le coup porté à une personne et la remise en question d'une croyance ; et entre une caricature écrite et une insulte personnelle.

Comme le disait Montaigne il ne faut pas confondre la peau et la chemise. La personne est une chose, la conviction qu'elle adopte en est une autre. On appelle fanatisme non pas le fait d'avoir une religion, mais celui de se confondre avec sa religion, d'avoir perdu toute distance à soi.

Une des vertus majeure de la laïcité est d'éduquer les élèves à la distance à soi, une propriété essentielle de la conscience humaine, et qui est source de tolérance.

*Auteur du «Dictionnaire amoureux de la laïcité». Éditions Plon.

Propos recueillis par Philippe Rioux
Article publié le 23 janvier dans La Dépêche du Midi

Posts les plus consultés de ce blog

Libre Pensée – Congrès national – 24/26 août 2009 - N° 11 : À propos des vêtements religieux dans la vie privée

À l’occasion de son congrès national réuni en Savoie du 24 au 26 août 2009, la Fédération nationale de la Libre Pensée tient à rappeler ses positions de principe quant à la laïcité institutionnelle, et au respect des libertés démocratiques fondamentales qui garantissent le respect de la vie privée des citoyennes et citoyens de ce pays. Une campagne médiatique d’importance a débuté à la fin du mois de juin, à partir de l’initiative d’un député du PCF, rejoint par une majorité de députés de droite, pour stigmatiser le port de la burqa et du niqab en dehors de l’École publique, de l’Administration et des autres services publics. Cette démarche a été entendue et amplifiée par le Président de la République dans son discours devant le Congrès à Versailles. Rappelons que Nicolas Sarkozy ne nous avait pas habitués à se parer des vertus de la défense de la laïcité. Bien au contraire, puisqu’il insiste depuis des années sur la « nécessaire place » des religions dans la société et la vie publique

Une atteinte grave à la laïcité à Rodelle

L’inauguration d’un club-house à Saint-Julien de Rodelle, prévue samedi 10 septembre 2016, comporte une cérémonie religieuse avec messe et bénédiction, à laquelle les citoyens sont conviés par plusieurs élus de la République : M. Jean-Michel Lalle, maire de Rodelle ; Mme Carole Delga, présidente de la Région Occitanie / Méditerranée ; M. Jean-Claude Luche, sénateur et président du conseil départemental de l'Aveyron. La Libre pensée de l'Aveyron dénonce avec force une atteinte grave et inacceptable au principe de laïcité tel que définit dans la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat. Un équipement collectif, financé par l’ensemble des contribuables, ne saurait en aucun cas être inauguré conjointement avec l’Eglise catholique. La Libre pensée a demandé au préfet de l'Aveyron et aux élus signataires du carton d'invitation de prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre cette inauguration conforme à la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’

Grand meeting national laïque du 5 décembre : discours de Philippe Guglielmi

Philippe Guglielmo est président d’Honneur de Laïcité-Liberté Cher camarade cher amis. Au nom de l’association Laïcité Liberté, je veux remercier pour leur invitation le Président de la Libre Pensée Jean-Sébastien Pierre et mes amis Christian Eyschen et David Gozlan. Je suis heureux de participer à ce meeting de militants laïques ou vous êtes venus très nombreux. Il s’agit sans doute du rassemblement le plus important pour faire la promotion du 110e anniversaire de la loi de 1905. Dans le bonheur de ce jour, j’ai ressenti de la tristesse lorsque le nom de Marc Blondel a été évoqué. Marc avec lequel Christian Eyschen moi-même avons partagé de nombreux combats exerçait un véritable magistère sur son temps. Je veux lui dédier le propos de ce jour, j’espère que je ne l’aurais pas déçu. J’interviendrai sur deux points, sans jeu de mots, je vous dispense du troisième. Je veux vous parler de la collusion des hiérarques religieux, puis des atteintes faites par l’école privée à no